Publié le 17 juillet 2019 dans les catégories : vu et approuvé sciences humaines
Le film Capharnaüm (کفرناحوم, Kafarnahoum), réalisé par Nadine Labaki, décrit une tranche de l’enfance ravagée par la misère de Zain, jeune garçon d’une douzaine d’années, au sein d’une large famille pauvre de la banlieue beyrouthaine. Rapidement, on se rend compte que, comme le film lui-même, toute la survie de la famille repose sur les frêles épaules de son protagoniste : dans leurs brèves interventions, les adultes sont souvent négligents, comme les habitants du quartier sortant observer passivement depuis la rue les fréquentes disputes familiales, ou l’idiot et impassible SuperCafard ; parfois cruels et intéressés, comme les géniteurs de Zain ou le concupiscent Assad ; rarement compatissants, comme l’avocate jouée par Nadine Labaki, ou la jeune femme clandestine avec qui Zain se liera d’amitié au cours de son aventure.
Zain va se battre pour sa survie et celle de ses proches - une quête tragique, puisque son objet semble toujours fatalement lui échapper, par des circonstances incontrôlables et cruelles - jusqu’à ce qu’il n’en puisse plus, jusqu’à l’acte terrible qui l’enverra en prison. De là, il aura l’idée folle d’envoyer devant la justice ses parents, pour les punir de lui avoir infligé cette existence misérable dans laquelle il semble enlisé, bien différente d’une vie rêvée et idéalisée en Europe. Loin d’être l’unique procès de ses parents, prisonniers volontaires de traditions court-termistes - qui poussent à avoir des enfants qui aideront leurs parents vieillissants, alors que leur propre survie à l’enfance n’est nullement acquise - c’est aussi l’occasion de souligner l’impuissance des autres adultes à protéger les enfants d’une société meurtrie par les guerres successives, passées ou actuelles, dans la région, de mentalités toxiques fermement ancrées et jamais remises en question, d’esclavage qui ne dit jamais son nom, et, toujours, du spectre de la guerre et de la famine qui plane au-dessus de la foule. Sans apporter de solution, le film s’achève sur une note d’interrogation, et d’espoir : Zain lui-même finit par esquisser un sourire à la fin de sa tragique épopée…
On peut souligner le talent indéniable de l’acteur jouant Zain, qui porte ce film à bout de bras, ainsi que l’effort apporté à l’immersion dans Beyrouth, si hétérogène, entre pétrolettes fumantes et voitures brillantes, entre manèges délabrés et souks fourmillants, avec cet immense gouffre entre les jeunes criminels entassés dans des cellules sombres et les membres d’une jeunesse dorée qui apparaissent en filigrane à la télévision. Pour couronner le tout, le film est servi par une très belle bande-son, qui ne peut s’oublier même bien après le générique de fin. Ce n’est pas un récit d’initiation, d’arrivée à l’âge adulte ; le personnage de Zain est déjà plus mûr et réfléchi que la quasi totalité des adultes qui l’entourent. Il n’atteint pas la sagesse, ni une quelconque paix qui permet de pardonner ses ennemis - il doit encore chercher à assurer sa survie. Mais son récit fait grandir ceux qui assistent à sa chute, impuissants ; et leur donner matière à réflexion, issue du chaos et du désordre terribles de ce film, qui fait alterner avec maestria rires et larmes.
Modifications du 18/07/2019 : Correction de fautes d’orthographe et tournures de phrase.