Publié le 16 décembre 2017 dans les catégories : vu et approuvé sciences humaines
Eros+Massacre (エロス+虐殺, Erosu purasu Gyakusatsu) est un film japonais de la fin des années 1960, qui décrit la quête de deux jeunes étudiants sur les traces d’un couple emblématique de l’anarchie japonaise du début du vingtième siècle, Sakae Osugi et Noe Ito, de leur rencontre jusqu’à leur assassinat par la police militaire japonaise en 1923. Une grande partie du film a été censurée jusqu’à récemment, et il est indéniablement préférable de voir la version complète du film pour mieux le comprendre.
Loin d’être une discussion sur l’anarchie et/ou l’amour libre et les contraintes sociales qui régissent une société japonaise qui s’ouvre à l’époque progressivement à la culture occidentale, le film s’attache surtout à dépeindre les caractères des personnages, les conflits qui les opposent, avec beaucoup de délicatesse, en suivant parallèlement l’histoire d’Ito et Osugi, et d’Eiko, l’une de deux étudiants.
Il semblerait que le film se perçoive au début comme un biopic (un film décrivant la vie et les tribulations d’un personnage historique), mais la narration non linéaire, la mise en scène théâtrale, les fréquents anachronismes et l’attention apportée au moindre détail de la photographie font de ce film une véritable pièce de théâtre, accompagnée par une musique qui est marquante sans occulter l’image.
La narration pudique, et juste, est aussi un point fort du film. Beaucoup de biopics pourraient s’attacher aux détails soit grivois, soit pitoyables de la réalité historique (par exemple, l’assassinat en même temps qu’Ito et Osugi de leur jeune neveu). Eros+Massacre, sans les cacher ou les présenter sous un vernis plus convenable, les cite sans les accompagner des habituelles scènes tire-larmes, et banales, de ces films.
L’un des points noirs de ce film pourtant pourrait être ses inspirations Nouvelle Vague, qui peuvent être rédhibitoires aujourd’hui. Le scénario à lui seul est un cas type de cette époque : l’histoire de jeunes héros à la recherche d’indépendance et de liberté, allant contre la société et les contraintes morales usuelles. Le choix du noir et blanc dans l’image, et la mise en scène tirent clairement des influences de ce mouvement. Pourtant, lors des parties portant sur Osugi et Ito, le réalisateur penche davantage pour un parti plus esthétique et subtil, et la scène de la première discussion entre Osugi et Ito sous les cerisiers sort de toute séquence type du cinéma.
En résumé, Eros+Massacre est un film original, qui peut rebuter par sa mise en scène maniérée et son scénario, mais qui est un bijou d’esthétique visuelle.
Modification du 18/12/2017 : Ito et Osugi ont été assassinés par la police militaire japonaise, et non par l’armée japonaise impériale.
Modification du 19/12/2017 : Correction orthographique.